dimanche 1 décembre 2013

Victoire

En cette matinée pluvieuse, l'appréhension me hante. Je sors du métro, me faufilant entre les gouttes d'eau, du moins j'essaye et je marche d'un pas mal assuré. Ce premier rendez-vous m'excite et me fait un peu peur à la fois. C'est bête en réalité mais c'est comme ça. Est-ce la peur de l'inconnue ? La peur d'être déçu ? Voire la peur de ne pas être à la hauteur ?
Quoi qu'il en soit, c'est aujourd'hui le jour tant attendu. Depuis tant d'années je n'osais l'espérer. Je vais enfin pouvoir la rencontrer, l'admirer, la toucher, la manipuler, LA bête, à la fois sobre et élégante, mythique mais si mystérieuse. Rendez-vous était donc pris pour tester le temps d'une journée la Roll Royce des appareils 24x36 : le LEICA M, dans sa configuration M6, équipé d'un objectif 50mm/2 Summicron.




C'est dans une boutique à côté de la Bastille que nous faisons connaissance. Le loueur garde jalousement l'appareil le temps de charger un film. Tant mieux, cela m'évitera le premier écueil tellement désagréable de mal accrocher un film. L'ILFORD HP5 en place(ce film noir et blanc de 400 ISO sera très bien avec ce temps automnal), la sensibilité réglée et trois photos prises dans le noir pour avancer le film et je n'ai plus qu'à partir à la découverte du M6.



Première impression devant un hypothétique sujet urbain : la prise en main est simple.
Le levier d'armement est classique et se manipule facilement avec le pouce droit, la sélection des vitesses se fait par une molette sur le dessus de l'appareil, allant de 1/1000 de seconde à la pose B, le diaphragme se règle en tournant une bague de l'objectif dans le sens indiqué par les LED dans le viseur qui indiquent ainsi la bonne exposition.
Enfin, la mise au point télémétrique, LA grande attendue, LA grande inconnue est très intuitive.
Tout ceci permet de consacrer un minimum d'énergie aux réglages et plus d'attention à la composition de la photo.





Parmi les premières erreurs à ne pas faire : oublier de retirer le bouchon de l'objectif ! En effet ce n'est pas un reflex mais un télémétrique. Ou plus exactement un appareil à mise au point télémétrique à coïncidence d'image. Les derniers reflex manuels ont certes  une mise au point télémétrique mais à coïncidence de ligne et l'arrivée de l'autofocus l'a rendue obsolète. Depuis, le terme télémétrique désigne principalement les appareils à mise au point télémétrique à coïncidence d'image. Contrairement au reflex où on voit l'image à travers l'objectif et où on doit rendre l'image plus nette en bougeant la bague de mise au point, avec le télémétrique à coïncidence d'image il faut comme son nom l'indique superposer deux images, celle du viseur avec une plus petite, se déplaçant horizontalement et provenant de la fenêtre de mise au point. Vous suivez ? Si les deux images sont alignées, alors l'image sera nette. Le concept est particulier, peu d'appareils utilisant cette technique (citons notamment le FED2 copie russe du LEICA IV, les MAMIYA 6 et 7, ...), mais cela a le mérite d'être très efficace. En effet, rien de plus facile que de superposer deux objets ou deux courbes.



Pour mettre tout cela en pratique, Victoire me rejoint dans une galerie couverte du 3e arrondissement.
En prenant un sujet en mouvement, je constate que l'appareil est bien adapté à ce type de photographie. La molette de sélection des vitesses se trouve derrière le levier d'armement et n'est pas très accessible lorsqu'on cadre un sujet. Il faut donc "lacher la visée" pour régler la vitesse. On a donc tendance à régler d'abord la vitesse et à ajuster l'exposition avec l'ouverture de l'objectif lorsqu'on cadre, ce qui correspond au mode "priorité vitesse" des appareils d'aujourd'hui. C'est donc très pratique pour prendre des sujets sur le vif, moins pour privilégier une profondeur de champs (l'aller-retour entre la visée et la molette de réglage prenant du temps comme expliqué précédemment).
Cette particularité n'affecte pas la simplicité d'utilisation et il est difficile de rater une photo. De plus, la qualité de l'appareil (ou plutôt de l'objectif devrais-je dire) a tendance à magnifier les photos. C'est donc avec beaucoup de plaisir que je cadre, règle l'exposition, mitraille, ... Le plaisir d'avoir un bel objet entre les mains et l'assurance de faire des photos réussies.












La journée se termine trop vite et c'est à contrecœur que je dois rendre ce M6. Pendant les dernières formalités d'usage mon œil s'attarde sur les vitrines et s'arrête sur un MAMIYA 7, un autre télémétrique de la famille des moyen-formats 6x7 (j'aime le moyen-format !).
Tiens, tiens, ça me donne une idée ...