Où il est question de subjectivité
C'était un jour comme ceux où on sort de chez soi sans parapluie et où il pleut en sortant du métro.
Un jour comme ceux où le caissier nous explique que le sésame culturel qu'on possède fièrement n'est pas valable au muséum d'histoire naturel parce qu'il dépend du ministère de l'Education Nationale (vous savez, comme le musée des Arts et Métiers qui dépend du ministère de l'Industrie et le musée de l'hôtel des Invalides qui dépend du ministère de la Défense).
Un jour comme ceux où il faut demander à trois agents différents pour enfin trouver l'exposition temporaire qu'on cherche et qui est reléguée au sous-sol.
C'est donc dans une salle aveugle, moi-même aveuglé par les spots éclairants accessoirement les cadres des photos de Sarah Moon qui ombrageaient eux-mêmes les quelques caractères faisant office de cartels, rendant la compréhension des œuvres énigmatique que je me suis retrouvé. Pour guider le visiteur, un extrait de Four Quartets de Thomas Stearns Elliot en anglais avec la traduction en français mais dans une couleur claire et métallisée reflétant la lumière des spots présentés ci-dessus et rendant la lecture plus que compliquée :
Les paroles se meuvent, la musique se meut
Seulement dans la durée ; mais ce qui n'est que vivant
Peut seulement mourir. Les mots, après le discours, atteignent
Jusqu'au coeur du silence. Seulement par la forme, le motif,
Les mots ou la musique peuvent atteindre
La quiétude, comme un vase chinois immobile
Se meut perpétuellement au sein de son repos.
Non la quiétude du violon, tant que la note dure
Non pas cela seulement, mais la coexistence,
Ou disons que la fin précède le commencement,
Que la fin et le commencement ont toujours été là
Avant le commencement et après la fin.
Et tout est toujours maintenant.
Le regard, fuyant toute réalité perturbatrice pendant que le cerveau tentait de comprendre le sens de ce texte, pouvait tomber sur le plancher en bois aggloméré badigeonné de traces de peinture, reste des préparations des expositions précédentes.
Bref, c'était un jour où il était intéressant de réfléchir à l'influence des événements extérieurs, de l'environnement, du contexte, des circonstances, des conditions de visite sur la rencontre avec des œuvres d'art.
Où il est question d’œuvre et d'oeuvres
Alchimie : science occulte, née de la fusion de techniques chimiques gardées secrètes et de spéculations mystiques, tendant à la réalisation du grand oeuvre [confer Le Petit Robert des noms communs].
L'exposition peut être vue comme un recueil du travail de Sarah Moon illustrant le thème de l'alchimie. Des photos de paysages, d'animaux vivants, d'autres empaillés. Deux films aussi. Du Sarah Moon. Qui ne connait pas Sarah Moon ? Presque personne me direz-vous. Mais qui connait réellement son travail ?
A voir comment je suis un peu dérouté par l'exposition, je ne fais visiblement pas partie de ces derniers.
Henri Peyre en donne une bonne explication dans l'article suivant : http://www.galerie-photo.com/sarah-moon.html. On retrouve effectivement des clichés martyrisés, des flous, des noirs et des gris mais peu de blancs, des ambiances énigmatiques, ... Il se dégage des photos quelque chose que je n'arrive pas à expliquer. Quelque chose d'inquiétant et de beau à la fois. Pourquoi je pense à "l'Etoile Mystérieuse" de Tintin ?
Les films aussi sont bien ancrés dans l'univers de Sarah Moon. Bien que le premier soit une vision de cinq minutes du jardin des plantes par Sarah Moon ("Au jardin des plantes") que l'on peut imaginer réalisé pour l'occasion, le second, "l'effraie", est un conte en images basé sur "le petit soldat de plomb" d'Andersen. Le film relate pendant un quart d'heure l'histoire d'une maison contenant la collection d'animaux empaillés qu'un taxidermiste a légué à ses filles, décédées au moment du récit. Un homme ramasse dans la maison abandonnée un soldat de plomb qu'il jette par la fenêtre et qu'un petit garçon va ramasser. Je ne connais pas ce conte d'Andersen mais j'ai un sérieux doute sur son lien avec ce que je regarde. Peut-être parce que le film est trop "sarahmoonien" ou parce que les images du film me rappellent les photos que j'ai vu quelques minutes auparavant. Il y a effectivement un aller-retour permanent entre les photos et les films, les premières se retrouvant dans les seconds. En fait je commence à comprendre.
Où il est question de rencontres
Sarah Moon est dans la salle. Elle présente l'exposition à deux personnes. Deux visiteuses viennent à sa rencontre. Elle est souriante. Elle a l'air abordable et simple.
Il est 17h40 et les gardiens viennent nous rappeler que la ponctualité est importante et qu'il faut par conséquent quitter l'exposition, le musée fermant à 18h.
La mort dans l’âme, je me dirige vers la sortie mais je saisis cette occasion pour aborder l’artiste. Ma question du rapport entre les photos et les films semble la dérouter. Elle m'explique que "l'effraie" est une histoire qu'elle a inventé il y a quelques années sur le thème des contes et qu'elle a souhaité la montrer dans cette exposition. Nouvel exemple de mes lacunes au sujet de son travail. Elle confirme l'utilisation des photos dans les films. Nous échangeons quelques propos puis la politesse m'oblige à prendre congé d'elle.
L'échange avec cette grande dame me laisse sur ma faim mais je me promets d'aller sérieusement à la rencontre de son oeuvre complexe mais passionnante.
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